Lorsque notre devoir nous appelle dans un lieu saint, ne dirait-on pas que nous ressemblons à des criminels conduits devant leurs juges pour être condamnés au dernier des supplices, plutôt qu’à des chrétiens que l’amour seul devrait conduire à Dieu ? Oh ! Que nous sommes aveugles, mes frères, d’avoir si peu à cœur les biens du ciel, tandis que nous sommes si portés pour les choses du monde !
En effet, quand il s’agit d’affaires temporelles, ou même de plaisirs, l’on en sera tout préoccupé. L’on y pensera d’avance. L’on y réfléchira. Hélas ! Quand il s’agit du service de notre Dieu et du salut de notre pauvre âme, ce n’est qu’une espèce de routine et une indifférence inconcevable. Veut-on parler à un grand du monde, lui demander quelque grâce ? L’on s’en occupe longtemps d’avance. L’on va consulter les personnes que l’on croit plus instruites, pour savoir la manière dont il faut se présenter. L’on paraît devant lui avec cet air de modestie et de respect, qu’inspire ordinairement la présence d’un tel personnage. Mais quand on vient dans la maison du bon Dieu, ah ! Ce n’est plus cela. Personne ne pense à ce qu’il va faire, à ce qu’il va demander à Dieu. Dites-moi, mes frères, quel est celui qui, en allant à l’église, se dit à lui-même : Où vais-je ? Est-ce dans la maison d’un homme, ou dans le palais d’un roi ? Oh ! Non, c’est dans la maison de mon Dieu, dans la demeure de celui qui m’aime plus que lui-même, puisqu’il est mort pour moi, qui a ses yeux miséricordieux ouverts sur mes actions, ses oreilles attentives à mes prières, toujours prêt à m’exaucer et à me pardonner. Pénétrés de ces belles pensées, que ne disons-nous comme le saint roi David : « O mon âme, réjouis-toi, tu vas aller dans la maison du Seigneur », lui rendre tes hommages, lui exposer tes besoins, écouter ses divines paroles, lui demander ses grâces. Oh ! Que j’ai de choses à lui dire, que de grâces j’ai à lui demander, que de remerciements j’ai à lui faire ! Je lui parlerai de toutes mes peines, et je suis sûr qu’il me consolera. Je lui ferai l’aveu de mes fautes, et il va me pardonner ; je vais lui parler de ma famille, et il la bénira par toutes sortes de bienfaits. Oui, mon Dieu, je vous adorerai dans votre saint Temple, et j’en reviendrai plein de toutes sortes de bénédictions.
Dites-moi, mes frères, est-ce bien là la pensée qui vous occupe, lorsque vos devoirs vous appellent dans l’Eglise ? Sont-ce bien là les pensées que vous avez, après avoir passé toute la pauvre matinée à parler de vos ventes et de vos achats, ou du moins, de choses entièrement inutiles ? Vous venez à la hâte entendre une sainte messe, qui, souvent, est à moitié dite. Hélas ! Si j’osais le dire, combien vont visiter le dieu de l’ivrognerie avant leur Créateur et, venant à l’église la tête remplie de vin, s’entretiennent d’affaires temporelles jusqu’à la porte ! O mon Dieu ! Sont-ce là des chrétiens, qui doivent vivre comme des anges sur la terre ?... Et vous, ma sœur, vos sentiments sont-ils meilleurs lorsque, après avoir occupé votre esprit et une partie de votre temps à penser comment vous allez vous habiller pour mieux plaire au monde, vous venez ensuite dans un lieu où vous ne devriez venir que pour pleurer vos péchés ? Hélas ! Bien souvent, le prêtre monte à l’autel que vous êtes encore à vous contempler devant une glace de miroir, à vous y tourner et retourner. O mon Dieu ! Sont-ce bien là des chrétiens, qui vous ont pris pour leur modèle, vous qui avez passé votre vie dans les mépris et les larmes ! Ecoutez, jeune fille, ce que vous apprend Saint Ambroise, évêque de Milan. Etant à la porte de l’église et voyant une jeune personne parée avec beaucoup de soins, il lui adressa ces paroles : « Où allez-vous, femme ? » Elle lui répondit qu’elle allait à l’église. « Vous allez à l’église, lui dit le saint évêque, l’on dirait bien plutôt que vous allez à la danse, à la comédie ou au spectacle. Allez, femme pécheresse, allez pleurer vos péchés en secret, et ne venez pas à l’église insulter par vos vains ajustements, un Dieu humilié. » Mon Dieu ! Que ce siècle nous fournit des … ! Combien de personnes, en venant à l’église, ne sont occupées que d’elles-mêmes et de leurs parures ! Elles entrent dans le Temple du Seigneur en disant au fond de leur cœur : « Regardez-moi. » En voyant ces tristes dispositions, ne devrait-on pas verser de larmes ?
Et vous, pères et mères, quelles sont vos dispositions lorsque vous venez à l’église, à la messe. Hélas ! Il faut bien le dire avec douleur, ce sont le plus souvent les pères et les mères, que nous voyons entrer dans l’église alors que le prêtre est déjà à l’autel ou même en chaire !
- Ah ! Me direz-vous, nous venons bien quand nous pouvons, nous avons autre chose à faire.
- Sans doute, vous avez autre chose à faire. Mais je sais bien aussi que si vous n’aviez pas laissé pour le dimanche mille choses de votre ménage que vous deviez faire le samedi et si vous vous étiez levés un peu plus matin, vous auriez eu fait tout cela avant la sainte messe, et vous seriez arrivés avant que le prêtre ne fût monté à l’autel. Il en serait de même pour vos enfants et vos domestiques, si vous ne leur commandiez pas jusqu’au dernier coup de la messe, ils y arriveraient au commencement. Je ne sais pas si le bon Dieu voudra bien recevoir tous ces prétextes, je ne le crois guère.
Mais pourquoi, mes frères, parler en particulier ? N’est-ce pas la plus grande partie qui agit de la sorte ? Oui, quand on vous appelle dans l’église pour vous y distribuer les grâces du bon Dieu, n’aperçoit-on pas en vous ce peu d’empressement, cette nonchalance, ce dégoût qui vous dévore, cette dissipation presque générale ? Dites-moi, voit-on beaucoup de monde quand on commence les saints offices ? Les vêpres ne sont-elles pas souvent à moitié dites, quand vous êtes tous arrivés ?
-Nous avons de l’ouvrage, me dites-vous.
-Eh ! Mes amis, si vous me disiez que vous n’avez ni foi, ni amour de Dieu, ni désir de sauver votre pauvre âme, je vous croirais bien mieux. Hélas ! Que peut-on penser de tout cela ? Il y a de quoi gémir en voyant de pareilles dispositions dans la plupart des chrétiens ! Plusieurs semblent ne venir à l’église que malgré eux ou, si j’osais dire, il semble qu’on les y traîne. De la maison jusqu’à l’église, l’on ne parle que d’affaires temporelles. Quelques jeunes filles ensemble ne parlent que de la vanité, de la beauté, et le reste. Les jeunes gens, des jeux, des plaisirs et autres choses encore plus mauvaises. Les pères ou maîtres de maisons causeront de leurs biens, de leurs ventes ou de leurs achats. Les mères ne seront occupées que de leur ménage et de leurs enfants. Personne n’oserait nier cela. Hélas ! Pas une seule pensée sur le bonheur qu’ils vont avoir, pas une seule réflexion sur les besoins de leur pauvre âme, ni de celle de leurs enfants et de leurs domestiques ! Ils entrent dans le saint Temple sans respect, sans attention, et plusieurs, le plus tard possible. Combien d’autres, ne se donnent pas la peine d’entrer, et restent dehors, afin de mieux trouver à se dissiper ? La parole de Dieu ne trouble pas leur conscience : ils regardent ceux qui vont et qui viennent… Mon Dieu ! Sont-ce là des chrétiens pour lesquels vous avez tant souffert, afin de les rendre heureux ? Voilà donc toute leur reconnaissance ?...
Avec de telles dispositions, que de péchés se commettent pendant les saints offices ! Que de personnes font plus de péchés le dimanche que dans toute la semaine ! … Ecoutez ce que nous apprend saint Martin. Tandis qu’il chantait la sainte messe avec saint Brice son disciple, il s’aperçut que celui-ci souriait. Après que tout fut fini, saint Martin lui demanda ce qui l’avait fait sourire. Saint Brice lui répondit : « Mon père, j’ai vu quelque chose d’extraordinaire pendant que nous chantions la sainte messe. J’ai vu derrière l’autel un démon, il écrivait sur une grande feuille de parchemin les péchés qui se commettaient dans l’église, et sa feuille a été plutôt remplie que la sainte messe achevée. Ce démon a pris ensuite ce papier entre les dents, il a tiré si fort qu’il l’a déchiré en plusieurs morceaux. Voilà, mon père, ce qui m’a fait sourire. » Que de péchés et même mortels, nous commettons pendant les saints offices par notre peu de dévotion et de recueillement ! Hélas ! Que sont devenus ces temps heureux où les chrétiens passaient non seulement le jour, mais encore la plus grande partie des nuits dans l’église, à pleurer leurs péchés, ou à y chanter les louanges du Seigneur ? Voyez même dans l’Ancien Testament, voyez sainte Anne la prophétesse, qui s’était retirée dans une tribune, pour ne plus quitter la présence de Dieu. Voyez le saint vieillard Siméon. Voyez encore Zacharie et tant d’autres, qui ont passé la plus grande partie de leur vie dans le temps du Seigneur. Mais aussi, combien ne sont-elles pas grandes et précieuses, les grâces que le bon Dieu leur accordait. Dieu, pour récompenser sainte Anne, voulût qu’elle fût la première à connaître Jésus Christ. Le saint vieillard Siméon fut aussi le premier après saint Joseph qui eut le bonheur, le grand bonheur de porter le Sauveur du monde sur ses bras. Saint Zacharie fut choisi pour être le père d’un enfant destiné à être l’ambassadeur du Père Eternel, pour annoncer la venue de son Fils dans le monde. Que de grâces le bon Dieu n’accorde-t-il pas à ceux qui se font un devoir de venir le visiter dans son saint Temple autant qu’ils le peuvent…